Le futur missile antiradar de l’armée de l’Air et de l’Espace sera basé sur le RJ-10 de MBDA
Depuis le début des années 2000, les capacités de l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE] en matière de guerre électronique et de suppression des défenses aériennes ennemies [SEAD – Suppression of Enemy Air Defenses] ont été négligées, si ce n’est sacrifiées, le missile antiradar AS-37 MARTEL [Matra Anti-Radar TELévision] ayant été retiré du service sans avoir été remplacé.
Si cela n’a pas eu d’incidences sur les opérations aériennes tant que celles-ci se déroulaient dans des environnements dits permissifs, il en va désormais tout autrement, avec la prolifération des moyens d’interdiction et de déni d’accès [A2/AD] susceptibles d’affecter la capacité des forces françaises à « entrer en premier » sur un nouveau théâtre ou à mener une frappe d’ultime avertissement dans le cadre de leur posture nucléaire.
D’où l’impérieuse nécessité pour l’AAE de renforcer ses moyens de guerre électronique et de se réapproprier cette capacité SEAD. Cette dernière est « centrale pour nos engagements futurs » car « elle nous permettra d’être beaucoup plus à l’aide dans des environnements de plus en plus contestés, alors que les matériels modernes vont se diversifier sur la planète », avait expliqué le général Stéphane Mille, qui était son chef d’état-major [CEMAAE] lors de l’élaboration de la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, en avril 2023.
« Pour neutraliser un système de défense sol-air, il existe d’autres moyens que ceux du domaine cinétique de l’armée de l’Air et de l’Espace. C’est bien pour donner au chef d’état-major des armées plusieurs cordes à son arc et créer des brèches dans un système ennemi que nous avons besoin de développer cette capacité SEAD », dès le standard F4 du Rafale, avait également soutenu le général Mille.
C’est justement pour répondre à cet enjeu qu’a été lancé le développement du standard F5 du Rafale. Celui-ci sera « très différent » par rapport au Rafale F4 dans la mesure où il devra posséder d’importantes capacités de calcul et une connectivité améliorée afin d’évoluer au côté d’un drone de combat [UCAV] furtif, dérivé du démonstrateur nEUROn conçu sous la maîtrise d’œuvre de Dassault Aviation.
Dans un entretien donné au quotidien Le Figaro [édition du 27 février] pour dévoiler les grandes lignes du nouveau plan stratégique de l’armée de l’Air & de l’Espace, le général Jérôme Bellanger, l’actuel CEMAAE, en a dit un peu plus sur le Rafale F5.
« Les enjeux électromagnétiques sur le champ de bataille sont majeurs. Nous avons d’abord besoin de moyens de détection pour identifier et géolocaliser les systèmes de défense sol-air adverses. Ensuite, il nous faut des moyens de neutralisation », a d’abord souligné le général Bellanger.
Et d’ajouter : « De nouveaux missiles pour la SEAD sont développés par MBDA, qui seront intégrés sur le Rafale F5 à l’horizon 2035. Il s’agira du RJ10 ».
Pour rappel, annexé au projet de loi de finances pour 2025, le Projet annuel de performances [PAP] avait évoqué le programme « Armement Air-Surface Futur » [AASF], doté d’une enveloppe de 41,90 millions d’euros pour la période de 2024/27. Il s’agit d’un PEM [programme à effet majeur] censé répondre « au besoin de disposer d’une capacité de neutralisation des menaces surface-air de courte et moyenne portée, prérequis indispensable à la capacité d’entrée en premier du Rafale », avait-il détaillé.
Et cela alors que MBDA planche déjà sur le SPEAR EW, financé et développé pour les besoins de la Royal Air Force. Ce missile doit être en mesure de brouiller les systèmes de radar ennemis mais aussi de les leurrer, grâce notamment à la technologie DRFM [Digital Radio Frequency Memory – mémoire radiofréquence numérique].
Quoi qu’il en soit, selon l’annonce faite par le général Bellanger, le futur missile antiradar de l’AAE sera donc issu du programme franco-britannique FMAN / FMC [Futur missile antinavire / Futur missile de croisière] qui prévoit le développement de deux missiles : le TP15 et le RJ10 [RJ pour ramjet].
La conception du premier a été confiée au Royaume-Uni tandis que la mise au point du second est assurée par la France. Si le TP15 sera furtif et subsonique, le RJ10 devra voler à une vitesse dans le « haut supersonique », c’est-à-dire comprise entre Mach 3 et Mach 5, tout en ayant un haut niveau de manœuvrabilité pour déjouer les défenses adverses.
Selon l’avis budgétaire sur le programme 146 « Équipement des forces – Dissuasion », publié par le député François Cormier-Bouligeon en octobre dernier, le sort du RJ10 était incertain il y a encore peu, l’idée de développer un missile SCALP de nouvelle génération [SCALP NG] ayant été évoquée.
Le ministère des armées avait alors expliqué au rapporteur que « cette option permettrait de sécuriser le calendrier de remplacement des Scalp rénovés » alors que « le risque de rupture capacitaire liée à la cession de missiles Scalp à l’Ukraine [était] une nouvelle donne qui [devait] être prise en compte dans le jalon de choix sur les options possibles pour FMC ».
Cela étant, les capacités SEAD ne se limitent pas aux seuls missiles. « Il faudra également des moyens de guerre électromagnétique offensifs pour saturer l’espace aérien et brouiller les détections adverses », a souligné le général Bellanger dans les pages du Figaro.
« Le Rafale F5 constituera un jalon essentiel, et c’est pour cela que nous le souhaitons complet. Il comportera déjà des briques technologiques de l’avion du futur SCAF [système de combat aérien du futur, ndlr] et, surtout, il emportera le futur missile ASN4G, c’est-à-dire le missile nucléaire de quatrième génération », a-t-il poursuivi.
Par ailleurs, l’UCAV ne sera pas le seul aéronef à accompagner le Rafale F5 étant donné que le CEMAAE a aussi cité des « remote carriers » [ou effecteurs connectés].
« Certains de ces drones participeront au raid mais pourront être ‘perdus’. L’UCAV détectera et identifiera les défenses adverses, il transmettra les informations au Rafale et recevra des ordres de manœuvre ou de neutralisation de ces menaces », a développé le général Bellanger.
L’idée est que ces drones puissent saturer l’espace aérien adverse afin de donner plus de latitude aux missiles qui iront frapper des « cibles identifiées avec une plus grande probabilité de ne pas être interceptés », a enchaîné le CEMAEE. « Nous étudions le bon dosage entre drones de saturation physique, qui pourraient voler en essaim, et drones dotés de moyens de guerre électromagnétique, capacités dont nous devrions disposer rapidement et qui pourraient aussi être déployées depuis des avions de transport tactique », a-t-il conclu sur ce sujet.