Projet de rattachement du Service médical aux caisses primaires, FO dit NON!

08/10/2024

La Caisse nationale d'assurance maladie a présenté un projet de rattachement du service médical directement aux caisses primaires. Jusqu'à présent, ce service était indépendant de la Sécurité sociale, mais désormais, il sera placé sous l'autorité de la CPAM. Il ne pourra donc plus exercer ses missions en toute indépendance!

Pour aller plus loin,

[Interview] Christophe Tursan, médecin conseil de l'assurance maladie et représentant FO

 
France Bleu Hérault - France Bleu Hérault Matin
Le 04/10/2024 0816
France Bleu Hérault - France Bleu Hérault Matin
Christophe Tursan, médecin conseil de l'Assurance-maladie et représentant FO
Présentatrice
Merci beaucoup d'avoir choisi France Bleu Hérault pour vous réveiller. Chaque matin à 8h16, on discute ensemble. Avez-vous déjà été contrôlé par la Sécurité sociale lors d'un arrêt de travail ?
Journaliste
Ça, c'est la question qu'on vous pose ce matin on attend vos témoignages au 04 67 58 60 00. Si on en parle aujourd'hui, c'est parce que le service médical de l'Assurance-maladie, celui qui assure justement ces contrôles, qui accompagne aussi ceux qui sont en arrêt de travail, il est menacé en tout cas. « Son indépendance est menacée », disent les syndicats. Il y avait une manifestation hier à Montpellier devant la CPAM. Alors, on va essayer de mieux comprendre comment tout ça fonctionne, avec vous, Christophe TURSAN. Bonjour.
Christophe TURSAN
Bonjour.
Journaliste
Vous êtes médecin-conseil justement dans ce service médical de l'Assurance-maladie. Vous êtes aussi secrétaire adjoint de l'Union Départementale de Force Ouvrière. Alors, on va essayer de mieux comprendre ce que vous faites dans ce service. L'une de vos missions, c'est de contrôler les arrêts de travail, c'est ça ?
Christophe TURSAN
Alors en effet, le service médical de l'Assurance-maladie a été sanctuarisé en 1967 pour faire un peu d'histoire rapide par les ordonnances Jeanneney. Pourquoi ? Pour justement assurer cette indépendance de la décision médicale et aussi le secret médical. C'est-à-dire que nous sommes en parallèle de l'Assurance-maladie, tout en étant indépendants, avec des avis évidemment indépendants. Et c'est ça qui est en danger aujourd'hui, puisqu’on…
Journaliste
On va le détailler, mais juste déjà, ces contrôles, vous les faites à la demande de qui ? C'est à la demande de l'Assurance-maladie, on vous missionne, en fait, pour vérifier que tout va bien ?
Christophe TURSAN
Non justement, c'est le service médical qui se missionne par rapport à des...
Journaliste
S'auto-saisit.
Christophe TURSAN
S'auto-saisit, par rapport à un certain nombre de points sur la durée des arrêts de travail, etc. Mais à la fin, c'est le médecin qui doit justifier sa décision médicale de la poursuite d'un arrêt, aussi des prestations, que ça soit au niveau des ordonnances, au niveau des soins, tout ça, est aussi réglé par le médecin. C'est donc un service à part entière et on n'est absolument pas missionnés par l'Assurance-maladie par elle-même.
Journaliste
Donc là, ce qui va se passer, ce qui risque de se passer d'ici le mois d'avril, c'est que vous allez passer de la Caisse nationale d'Assurance-maladie à laquelle vous allez être rattaché en fait aux Caisses primaires d'Assurance-maladie et c'est ce que vous dites, vous craignez pour votre indépendance et pour le secret médical. Mais qu'est-ce que ça va changer puisque vous restez médecin après tout ?
Christophe TURSAN
Alors le risque, oui, mais le risque, c'est qu'on soit dilué évidemment dans les CPAM et surtout que nos décisions soient empreintes d'idées économiques. Pour l'instant, on n'a pas d'obligation, en fait, de décision par rapport à des oukases économiques. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, nos décisions sont liées à des considérations médicales, voilà. Le risque qui...
Journaliste
Vous dites, si on schématise, il y a abus ou pas en fonction d'une décision médicale ?
Christophe TURSAN
Il n'y a pas forcément abus, il y a simplement, on essaye d'accompagner les assurés aussi dans le retour à l'emploi et aussi dans les prestations qui sont fournies en nature ou en espèces par l'Assurance-maladie pour justifier la poursuite, ou pas, ou la validation de ces prestations. Donc, on est totalement indépendant dansnos décisions puisqu’elles sont médicales. Aujourd'hui, si on rejoint, enfin si on se fait absorber, si c'est une fusion, on va peut-être, probablement, être une variable d'ajustement sur ça, sur l'économie. C'est-à-dire qu'on va nous dire...
Journaliste
C'est-à-dire qu'on risque de vous demander, il faudrait qu'il y en ait un tel qui retourne au boulot quoi.
Christophe TURSAN
Voilà, on va nous dire, il va falloir maintenant aujourd'hui faire 20 % de personnes qui retrouvent au travail. Vous allez aussi ne pas valider des incapacités permanentes. Ça, c'est un risque qui est très, très important. Et je pense que les assurés ne se rendent pas compte de la gravité de la situation. Il existe depuis 1967. Ça fonctionne, il y a un accompagnement. Certes, il y a un contrôle parce que la Sécurité sociale, c'est notre bien à tous, que ce soit par les cotisations patronales ou salariées, c'est notre bien à tous. Et le médecin est là pour en faire bon usage. Voilà. Au niveau médical, il justifie. Aujourd'hui, s’il n'y a plus cette direction du service médical, le risque, c'est qu'on ne soit plus impartiaux.
Présentatrice
Il est 8h20, vous écoutez France Bleu Hérault et nous recevons ce matin le médecin Christophe TURSAN, secrétaire adjoint de l'Union Départementale Force Ouvrière.
Journaliste
Vous parliez de secret médical. Aujourd'hui, il y a donc cette séparation. Vous, vous donnez votre avis médical. Et puis derrière, la CPAM, elle finance ou acte des choses sur le côté administratif et financier, mais sans connaître finalement la raison de l'arrêt. C'est là que le secret médical est protégé.
Christophe TURSAN
Exactement. Alors là, on est dans le cadre du risque maladie puisqu'il y a des liens. On donne un avis, mais il n'y a pas de raison. Il n'y a pas le motif médical initial d'un arrêt sur le risque maladie. C'est un peu différent sur le risque professionnel puisque là, c'est un colloque qui s'établit entre le service médical et la CPAM. Mais c'est un peu différent puisqu'il n'y a pas de secret médical.
Journaliste
Et là, avec une éventuelle fusion, d'ici le mois d'avril, ce serait transparent finalement, la CPAM serait au courant de pourquoi telle personne est en arrêt ?
Christophe TURSAN
Oui, c'est un risque. En tout cas, c'est un risque extrêmement important à tel point que de toute façon, toutes les organisations syndicales sont vent debout contre cette évolution néfaste pour tout le monde, les agents aussi. On connaît l'effet des fusions, mais aussi évidemment à la fin sur les assurés, sur les praticiens-conseils. Et on sait que le Conseil de l'ordre s'est défini comme totalement opposé à cette réforme. Les unions régionales des professionnels de santé également.
Journaliste
On a quelques commentaires sur Facebook. Vous allez nous dire si c'est comme ça que ça se passe, sur les contrôles justement. Deux commentaires d'auditrices qui nous disent « Moi, j'ai été contrôlée lors d'un arrêt de travail. Je sais que c'est à la demande de mon employeur. Est-ce que c'est comme ça que ça fonctionne ? » Un patron peut vous appeler en disant « J'ai des doutes sur Bidule. Vous pouvez vérifier que son arrêt est bien justifié ? »
Christophe TURSAN
Non, comme je vous le disais, en fait, on choisit finalement, le service médical choisit les contrôles. Ce n'est pas l'employeur qui va nous demander de contrôler. Ce n'est pas possible. Il peut faire des informations.
Journaliste
Mais donc c'est au pif ou c'est…
Christophe TURSAN
Non. Évidemment, il y a les mailles d'un filet qui sont créées en fonction de tout un tas d'items, en fait. Et ensuite, le médecin-conseils choisit de contrôler ou de convoquer un assuré.
Journaliste
C'est comme ça que ça fonctionne.
Christophe TURSAN
Médicalement, on est d'accord ?
Journaliste
Oui.
Christophe TURSAN
C'est absolument pas économiquement.
Journaliste
Médicalement, mais alors il n'y a pas que des médecins dans ce service puisqu'on l'a vu à la manifestation d'hier. Il y a aussi plein d'autres corps de métiers. Qu'est-ce que ça va changer pour ces métiers-là ?
Christophe TURSAN
Comme je vous le disais, la fusion… Alors, j'ai vécu en étant médecin conseil RSI. Il y a déjà la fusion du RSI sur le régime…
Journaliste
Quel RSI ?
Christophe TURSAN
C'est alors les indépendants, qui ont disparu il y a 3 ans maintenant. Une fusion avec le régime général. Et en effet, l'idée première, c'était qu'il y avait entre 10 et 15 milliards d'euros dans les caisses des indépendants et pour les rebasculer dans le régime général. C'était une volonté politique. On sait que la fusion, qu'est-ce que ça fait ? On va prendre des agents qui sont spécialisés et puis on va leur demander d'être agiles, c'est le terme à la mode aujourd'hui, pour faire autre chose. Donc, ils ont déjà des dizaines d'outils à faire fonctionner, mais on leur demande de faire fonctionner d'autres outils parce qu'à la CPAM, ils manquent. Ils ne recrutent pas suffisamment, donc il manque d'agents. À la fin évidemment, vous comprenez bien que quand vous passez d'une spécialisation à une généralisation, l’assuré ne s'y retrouvera évidemment pas.
Journaliste
Est-ce qu'on peut faire un parallèle avec ce qui s'est passé à Pôle emploi à l'époque de la fusion à l’ASSEDIC ?
Christophe TURSAN
Oui, c'est toujours la casse. C'est la casse des agents, c'est la casse du système. Vous savez, c'est très facile de déconstruire, détruire un système dont je vous disais qu'il était la base, au niveau de la France, de son système de santé. Parce qu'à la fin, c'est le système de santé aussi qui va être en difficulté par rapport à ça. On prend des décisions vers les hôpitaux, vers les cliniques. Donc tout ça va être impacté notablement, versant économique.
Journaliste
Et alors c'est censé intervenir au mois d'avril. Vous avez espoir que ça change, il y a d'autres mobilisations prévues ? Vous avez des rendez-vous avec le Gouvernement qui sont déjà à l'ordre du jour ?
Christophe TURSAN
Oui, aujourd'hui, enfin hier en tout cas, il y a une mobilisation massive en France.
Journaliste
Il y a eu une manifestation à Montpellier, mais pas que effectivement.
Christophe TURSAN
Ça a été dans toute la France et ça va continuer parce qu’évidemment ce n'est pas acceptable. Le risque est trop grand pour les assurer en premier lieu. Je pense qu'il faut le répéter, ça, le risque est très très important. Que l'impartialité actuelle et l'indépendance de la décision médicale soient empreintes de décisions économiques.
Journaliste
On a mieux compris avec vous les coulisses de ce service médical de l'Assurance-maladie. Merci beaucoup Christophe TURSAN d'avoir été avec nous ce matin et bonne journée.
Christophe TURSAN
Merci à vous, bonne journée !